« La véritable histoire est faite d’expression spontanée, c’est par conséquent une histoire spirituelle et psychologique plutôt qu’une histoire de technique d’une forme d’expression artistique ou d’une autre. Stephen Nachmanovitch* 2
INSPIRATIONS
J’ai eu la chance de grandir dans un environnement musical. En fait mes meilleurs souvenirs d’enfance sont tous en rapport avec la musique. J’ai d’abord baigné dans la musique classique. Parmi les compositeurs qui m’ont le plus inspirée, on compte les impressionnistes français tels que Debussy et Ravel, et puis par ailleurs Poulenc et Faure (surtout la musique vocale) Satie et Messiaen (notamment les « Visions de l’Amen » pour 2 pianos).
Bien sûr en tant qu’élève de piano au conservatoire, j’ai étudié les grands compositeurs classiques et romantiques tels que Bach, Mozart, Beethoven, Chopin, Schumann, Rachmaninov et Liszt. Adolescente j’ai découvert Scriabine dont l’harmonie innovatrice et les concepts métaphysiques m’ont fascinée…
D’autre part j’étais à ce moment la attirée par le sens rythmique de Bartók et les échos exotiques des pièces d’Albéniz et Piazzolla. Plus tard je me suis beaucoup intéressée aussi à l’incontournable Stravinsky ainsi que Samuel Barber et William Bolcom.
Très tôt dans ma vie, j’ai eu le sentiment d’appartenir au monde de la musique. Je me souviens de mon profond désir comme enfant d ‘apprendre le piano. J’ai souvent dit que la musique est le seul amour qui a duré toute ma vie, et le piano mon amour véritable… Non pas que cela ait été toujours facile, en fait il y a eu bien des crises et tempêtes …
À l’age de 25 ans, j’ai ressenti que la musique devait avoir une autre signification et dimension que celle qui m’était donnée par un monde de jugement et de compétition. En recherche d’une nouvelle et réelle connexion a la musique, j’ai quitté le conservatoire puis suis partie aux Etats-Unis pour m’essayer au jazz et à l’improvisation en quête de libération et de liberté d’expression. Parmi les principaux pianistes de jazz qui m’ont influencée et inspirée, on compte Keith Jarret, Chick Corea, Herbie Hancock, Kenny Barron, Bill Evans, Ahmad Jamal, Jacky Terrasson et Brad Meldhau.
Dans le domaine des professeurs et mentors, Art Resnick, Richie Beirach et Allaudin Mathieu ont été particulièrement importants pour moi. J’ai énormément appris grâce à leur sens harmonique subtil et raffiné et leur unique approche de la composition. Art a été le premier à m’encourager à composer, Richie le premier à valoriser mes compositions. Avec Allaudin, j’ai découvert le sens plus profond et fascinant de l’harmonie (cf. « The Harmonic Experience ») et ses compositions alliant jazz, classique, musique indienne et nord-africaine sont encore aujourd’hui une grande source d’inspiration. Par ailleurs je trouve inspiration dans la musique de musiciens tels que Miles Davis, Wayne Shorter, Stan Getz, Gil Evans, et dans les grandes voix Ella Fitzgerald, Bessie Smith, Sarah Vaughan, Carmen McRae, Betty Carter, Cassandra Wilson, et Shirley Horn.
Outre le Jazz et la musique classique j’écoutais déjà jeune adolescente de la musique orientale et africaine et j’ai toujours été extrêmement attirée par ces cultures. Jamais je n’aurais rêvé vraiment pouvoir participer en tant que pianiste à cette musique, mon monde musical à ce moment la étant plutôt limité. Mais arrivée à New York ces barrières bientôt tombèrent aussi, grâce notamment à ma rencontre avec Ramzi Moufarej et Bassam Saba et la création du groupe Myriade. Étant à New York il était difficile de résister à faire un petit tour du côté de Spanish Harlem et de la salsa, expérience non seulement fort divertissante, mais dont j’ai aussi beaucoup appris au niveau de mon sens rythmique.
Mon voyage en Argentine au printemps 2000 a rajouté à tout cela une petite touche de tango…
Cependant c’est par la composition que je me suis réellement libérée de toute limitation de genres et de cultures. Me débarrassant de toutes les étiquettes telles que classique, jazz, salsa, oriental, africain et que sais-je, je me suis mise à composer et ce qui en est sorti était « ma musique » purement et simplement. Comment la nommer n’avait pas d’importance, ce qui comptait c’était comment par elle je trouvai enfin cette fameuse connexion tant recherchée. C’est dans la composition, alliant toutes ces inspirations diversifiées, que mon langage propre et mon identité musicale commencèrent à émerger.Je compris alors plus profondément que la véritable dimension et signification de la musique n’était à chercher nulle part d’autre qu’en moi-même.
J’ai parlé surtout de ma relation à la musique en tant que pianiste et compositeur mais je dois mentionner ici la part de la voix dans ma vie, celle-ci ayant cependant suivi une toute autre voie ( !) que la partie pianistique dans mon évolution musicale. Je suis aussi peu techniquement formée et naturelle vocalement que je suis techniquement formée et conditionnée au niveau pianistique.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours chanté, en famille, en voiture ou sur mon vélo (!). Je me suis développée vocalement au sein de plusieurs chorales et plus sérieusement quand je me suis inscrite à la chorale universitaire de Strasbourg. Celle-ci fut sélectionnée en tant que chorale française à participer au festival international de chorales universitaires, Choruses of the World, en tournée sur la côte est des Etats-Unis. Ce voyage et événement majeur marquent les prémices de mon retour aux US sept années plus tard. L’émotion ressentie au sein de l’énorme choeur composé de quelques 12 chorales de 30 choristes, accompagnées de l’orchestre philharmonique de Philadelphia pour la 9eme de Beethoven par exemple était un tel contraste avec la solitude du piano solo ! C’était à ce moment la ma seule occasion de faire de la musique avec d’autres – mise à part les classes de musique de chambre – et l’expérience la plus marquante de communication et de participation à une entité musicale grandiose. Plongée dans un océan de voix et d’instruments en création musicale commune, respirant littéralement ensemble, est un sentiment inoubliable, exaltant et quasi électrisant. C’est aussi là que j’ai découvert la musique vocale de Francis Poulenc, musique qui eut un impact fondamental dans ma vie. Quand je suis retournée plus tard aux E.U., j’ai commencé à chanter les standards de jazz, et après quelques années, pour reconnecter avec mes origines, je me suis mis à interpréter des chansons françaises dans des arrangements jazz personnels, qui me conduisirent au concept de mon Frédérique’s Trio .
Et puis ma voix a peu à peu cherché à sortir du rôle traditionnel du chant à texte et j’ai commencé à expérimenter en l’utilisant plus comme un instrument, et trouvant de nouvelles inspirations dans les ragas indiens et la musique orientale.
Mes inspirations autres que purement musicales – bien que pour moi c’est toujours encore de la musique – sont beaucoup d’ordre aquatique, notamment une quasi-fascination pour la mer et l’océan, et puis le vent, la terre, la nature, les grands espaces…
Et bien sûr j’ai toujours été fascinée par les voyages, la découverte de nouveaux horizons et nouvelles cultures. En fait j’aime à penser ma vie comme un long voyage…
ASPIRATIONS
La première aspiration dont j ‘ai pris conscience fut celle d’établir par la musique un rapport avec le monde extérieur. Enfant je me suis souvent isolée, rêvant de communication par la musique ce dont je ne parvenais pas à exprimer par les mots. La première façon d’établir cette communication fut de jouer en public, ce qui me semble encore aujourd’hui la plus sincère et la plus intense façon de créer ce contact, en direct sur scène. Mais il y a aussi, à un niveau différent la composition. De quelque manière que ce soit, je souhaite apporter à mes auditeurs – visibles ou invisibles – quelque chose qu’ils puissent garder et emporter avec eux: réconfort, paix, joie, une étincelle de vie, une inspiration puisque c’est ce que la musique représente pour moi, et c’est mon désir et mon espoir de le transmettre à mon tour par ma musique. « Quand vous écoutez de la musique que vous aimez cela vous mettez en accord et en harmonie avec vous-même et avec la vie. » Hazrat Inayat Khan * 1
Au cours de ma vie, j’ai bien sur aussi découvert la joie et le profond plaisir de communiquer et transmettre la musique en l’enseignant, et j’ai eu la chance d’avoir dans ce domaine une expérience étendue et variée, en écoles et en privé, avec des élèves de tous horizons, tout niveau et tout âge. Je pense d’ailleurs avoir autant appris par mes élèves qu’eux ont appris de moi !…
Ma connexion à la musique est la plus profonde de ma vie, et je désire donc la partager avec les autres. Cette connexion peut se situer à différents niveaux, entre moi et ma musique, entre moi et un autre compositeur si je suis l’interprète d’une pièce du répertoire, entre moi et le public, ainsi qu’avec les musiciens avec qui je joue et ceux qui jouent ma musique et tous ceux qui écoutent ma musique en concert ou en CD et partage avec moi un moment en dehors de leurs soucis quotidiens et leurs vies personnelles…
Ainsi, la musique peut devenir un moyen de réunir les gens.
Ce qui constamment apparaît comme un leitmotiv dans mon évolution musicale et mon histoire personnelle avec la musique c’est bien cette aspiration à la réunion, fusion des genres et cultures, mélange de sons, styles et traditions, ainsi que la combinaison inhabituelle d’instruments dans ce même désir de réunification et abolition des barrières.
Il devint de plus en plus clair qu’il s’agissait pour moi de réunir toutes ses influences, héritages et intérêts divers, dans un langage qui soit le mien propre, pour créer un sentiment d’unité et de paix intérieures pour commencer.
En élaborant ce concept l’idée devient d’offrir une image d’ouverture et de tolérance, en brassant toutes ces couleurs et origines variées dans ma musique et créer ainsi la paix dans mon petit coin du monde. J’aime à penser avec le maître Sufi Hazrat Inayat Khan, que : « La musique à elle seule peut être le moyen de réunir les âmes des races, nations et familles, aujourd’hui divisées . » et je me joins à la vision de W.A. Mathieu: » Un jour le moment viendra de faire la Première Paix Mondiale… homme, femme et enfant, tout être vivant, sera partie prenante d’une même intention musicale résonnant à travers le monde, une messe affirmative, une symphonie globale. Ce sera peut-être la première de nombreuses actions annonçant une humanité réunifiée »… « La sublime polyphonie de la musique symphonique peut évoquer de telles images de l’idéal social »… « Un orchestre est une société idéalement harmonieuse ». W.A.Mathieu * 3
Le concept de fusion est probablement plus un élément de ma composition alors que la part qui me connecte aux autres est du côté du moment intense et magique du concert public. À l’âge ou j’ai choisi la musique pour ma vie, j’étais trop jeune pour avoir ce genre de raisonnement conceptuel et visionnaire. De bien des façons, cela a à peine été un choix, j’ai plutôt été simplement, mais irrésistiblement captivée par la musique et c’est peu à peu que j’ai découvert les nombreuses composantes de cette décision intuitive. Cependant l’intuition pourrait être un état plus élevé d’intelligence et de connaissance, et ce à quoi je connectais dans ma jeunesse était peut-être la connaissance innocente d’une vérité que je suis encore à découvrir. La musique est certainement ce qui me guide à travers ce voyage en moi-même. C’est ce qui me reconnecte à mon moi supérieur et à ma plus profonde vérité, parce que c’est par la musique que j’accède à cette source et énergie créatrice, ma propre divinité. C’est seulement maintenant que je peux enfin renouer avec cette dimension spirituelle à travers la musique, loin de mon éducation religieuse dont j’ai du m’éloigner pour pouvoir trouver ma relation propre au sacré.
Ces pensées, encore en évolution en moi, sont difficiles à exprimer, touchant à la limite de ce qu’il est possible d’exprimer par les mots …(et c’est pour cela précisément que j’ai choisi de les exprimer plutôt en musique.)
Mais beaucoup d’autres ont parlé et écrit a ce sujet, et voici donc quelques-unes des pensées qui me parlent le plus.
« Le processus créatif est un cheminement spirituel. Cette aventure est notre aventure propre, celle du moi profond, du compositeur en nous tous, et celle de notre originalité, c’est à dire non pas quelque chose de totalement nouveau mais ce qui est complément et originellement nous-même. » Stephen Nachmanovitch * 2
Ce n’est pas en s’inquiétant des jours durant que l’on compose une pièce de musique… C’est en concentrant sa pensée sur la pensée divine, que l’homme, consciemment ou inconsciemment reçoit l’inspiration. »… « Cela se passe pour l’artiste comme si sa main était guidée par quelqu’un d’autre, comme si ses yeux étaient fermes et son coeur ouvert. » Hazrat Inayat Khan* 1
Pour que l’Art apparaisse, nous devons disparaître… . « Quand nous expérimentons l’inspiration, que ce soit en amour, en invention, en écriture, en affaires, en sport, ou en méditation, nous accédons à cette source d’information, omni présente et toujours renouvelée, sur la structure profonde de notre monde, ce Tao continuellement fluctuant… ». Stephen Nachmanovitch* 2
Les bouddhistes appellent cet état d’absorption, au-delà de l’ego, cet état de concentration absolue Samadhi . Non pas que ce soit une histoire de religion mais cela touche assurément à quelque chose qui nous dépasse.
Le monde de la musique est tellement devenu un marché de vedettes, ou il s’agit sans cesse d’impressionner, de compétition, d’égocentricité, un monde de stars et de héros…Pour ma part je ressens que nous avons tous le besoin d’en guérir et de redécouvrir le vrai sens de la musique …Redécouvrir le dessein fondamental de la musique et de tout art, qui est de nourrir l’âme et de nous reconnecter avec notre propre divinité. Cette réconciliation avec notre propre divinité nous réunit aussi tous les uns aux autres comme participant d’une même essence divine. Je crois profondément que tel est le dessein et la mission de toute forme d’art et de tout artiste.
« Tout comme en amour, l’engagement dans un art créatif est un engagement à l’inconnu, non seulement l ‘inconnu mais l’inconnaissable ». » Stephen Nachmanovitch* 2
« La musique résiste à toute définition. Elle veut pouvoir se définir elle-même en fonction de sa direction, de l’oeuvre à accomplir et des énergies à engager. Ce n’est pas un problème, nous n’avons pas besoin de définition pour faire quelque chose. » W.A.Mathieu * 3
* 1 Hazrat Inayat Khan, The Mysticism of Sound and Music
* 2 Stephen Nachmanovitch, Free Play: The Power of Improvisation in Life and the Arts
* 3 W.A.Mathieu, The Musical Life